Depuis début avril, des archéologues fouillent une parcelle de 195 m2 dans la cour de l’Ensad. Dans ce quartier situé à la limite du forum antique de Lutèce, déjà bien connu des chercheurs, de nouvelles découvertes permettent de préciser la fonction du site, durant les premiers siècles de notre ère.
Dans la cour de l’Ensad (École nationale supérieure des Arts Décoratifs), au milieu d’une poignée d’étudiants qui ne semblent pas trop y prêter attention, un petit groupe d’archéologues de l'Inrap s’active sur un chantier de fouilles. Débuté le 2 avril, il a été prescrit par la Drac sur une surface de 195 m2, dans le cadre de la construction d’un nouveau bâtiment. Le quartier est bien connu des archéologues : durant la période gallo-romaine, il se trouvait à la limite du forum antique de Lutèce, sur la montagne Sainte-Geneviève. Depuis l’aménagement de l’école, en 1990, des fouilles successives ont déjà « mis au jour les fondations de maisons du milieu du Ier siècle ap. J.-C., avec des caves pour stocker des denrées », explique Jacques Legriel, responsable scientifique du chantier.
Actuellement, les archéologues s’intéressent à l’esplanade qui s’étendait devant ces maisons. Cet espace extérieur s’est développé vers 50 après J.-C., et a perduré jusqu’à 250 environ. Sur l’une des parcelles de cette ancienne cour, Marie Dauphin et Nicolas Asplanato manient pelle et rasette. « On est en train d’enlever une couche, qu’on avait déjà commencé à retirer ailleurs sur le terrain, explique la première. Puis on nettoie la zone de manière plus fine au fur et à mesure, pour rendre la couche visible. »
La fouille, déjà bien entamée, laisse apercevoir, tel un mille-feuille géant, des couches distinctes dans le sol. Chaque strate raconte un moment d'occupation, le premier remontant à l'époque de la conquête romaine de la Gaule, au premier siècle avant J.-C. "En 1999, il y avait déjà eu des fouilles dans cette cour. Les archéologues avaient alors trouvé des fondations de maisons gallo-romaines, avec des caves enterrées et du mobilier", explique Jacques Legriel, le responsable des recherches archéologiques.
25 ans plus tard, l'objectif est différent. "La présente fouille se situe devant cette enfilade de maisons. Nous sommes donc sur des espaces extérieurs, peut-être une esplanade ou des petites rues. Notre mission va être d'en déterminer la fonction", poursuit l'archéologue.
Malgré un espace restreint, les archéologues ont déjà eu de belles surprises et des informations précieuses sur cet ancien site gallo-romain, situé au sommet de la montagne Saint-Geneviève. "Nous sommes ici aux limites de la ville antique de Lutèce, dans ce qui était un quartier artisanal", indique Jacques Legriel. Du premier siècle avant J.-C. au troisième siècle de notre ère, cet espace va servir, entre autres, de fosses pour des déchets domestiques et artisanaux.
C'est ainsi que les archéologues de l'Inrap ont découvert des dizaines de chevilles osseuses, un nom barbare pour désigner le matériau qui compose l'intérieur des cornes de bovidés. "On retrouve tous les objets de la vie quotidienne. Des morceaux de poterie, des épingles à cheveux faites en os, des charnières de porte et quelques pièces de monnaie", raconte l'expert.
Du IIIe siècle au XVIIe siècle, le site est abandonné, conséquence du repli de la ville antique. L'enceinte médiévale de la capitale se déplace vers l'île de la Cité et l'actuelle cour de l'Ensad devient un champ cultivé. Dans le sol, cette période se concrétise matériellement par une large couche de terre brune.
À partir du XVIIe siècle, le site devient la propriété des Ursulines. En 1612, elle y fonde leur couvent au moment où de nombreux ordres religieux s'installent dans le quartier. Le lycée Henri IV, par exemple, était une ancienne abbaye augustinienne. Aucune construction ne sera alors faite sur ce terrain, qui abritait la quasi-totalité de l'arrière-cour du couvent. "C'est ce qui explique que la stratigraphie des niveaux antiques soit si bien préservée, détaille Jacques Legriel. On a 2000 ans d'histoire qui sont conservés sur 195 m2."
Vu en 2024.
Source:
Ajouter un commentaire
Commentaires